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Pour un droit européen de la compliance anticorruption : 21 propositions du Club des juristes

Pénal - Droit pénal spécial
Affaires - Pénal des affaires
26/11/2020
Le rapport, élaboré sous la présidence de Bernard Cazeneuve, recommande l’amélioration du dispositif français de lutte anticorruption ainsi que l’adoption d’un paquet européen visant à mieux protéger les entreprises européennes des procédures extraterritoriales américaines, à garantir la transposition des grands principes de la lutte contre la corruption définis par l’OCDE et à contribuer à l’émergence d’un level playing field à l’échelle du marché intérieur.
Rédigé sous la direction de Claudie Boiteau, en partenariat avec le Master Droit et régulation des marchés de l’Université Paris-Dauphine


 
L’amélioration du droit français de la compliance anti-corruption  

En 2019, la France a reculé de deux places dans le classement de l’IPC (Indice de Perception de la Corruption) publié par Transparency International, passant de la 21e à la 23e place sur 180. Pour améliorer le classement IPC français et achever le modèle français de conformité anticorruption, la commission propose six recommandations.
 
Tout d’abord, la fusion de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP) et l’Agence française anticorruption (AFA), leur permettrait conjointement d'acquérir une meilleure efficacité dans la lutte anticorruption, tant dans leur action que dans leur gestion budgétaire et humaine, ce qui pallierait l’absence d’autonomie budgétaire et fonctionnelle de l’AFA et son faible rayonnement à l’étranger.

La reconnaissance législative de la compétence du Conseil d’État en premier et dernier ressort pour tous les recours de pleine juridiction formés contre les sanctions de l’AFA, dans un délai réduit, permettrait de renforcer la portée des recommandations émises par ces autorités de régulation.

La transposition par le législateur de la directive européenne (UE) 2019/1937 du 23 octobre 2019 permettrait de renforcer la protection du lanceur d’alerte puisque la directive donne la possibilité aux auteurs de signalement de violations de la loi de saisir directement l’autorité judiciaire ou administrative puis, en cas d’inaction de celle-ci, de divulguer au public les informations dont il dispose. 

La commission recommande également à l’AFA de rehausser le positionnement et le rôle du « directeur conformité » dans les entreprises d’une certaine taille en rattachant la fonction à la fois au chef de l’exécutif et au conseil d’administration, via son comité de gouvernance et/ou de l’éthique.

Pour élargir le spectre de la loi Sapin 2 (L. n° 2016-1691, 9 déc. 2016, JO 10 déc.), axée principalement sur la lutte contre la corruption internationale, la commission propose la création d’un référentiel compliance anti-corruption adapté aux collectivités territoriales. Ainsi, les collectivités territoriales ne seraient plus contrôlées sur le fondement de l’article 17 de la loi Sapin 2, conçu originellement pour les entreprises de taille significative, mais sur un fondement qui tiendrait compte des spécificités de leur statut et leurs dimensions.

Enfin, afin de renforcer la convention judiciaire d’intérêt public (CJIP), outil de tradition anglo-saxonne qui accélère la sanction pénale des entreprises en la rendant plus certaine qu’elle ne le serait à l’issue d’un procès pénal, la commission recommande d’étendre son domaine à la plupart des infractions relevant de la délinquance économique et financière des entreprises ainsi qu’aux infractions portant atteinte à l’environnement.
 
L’adoption d’un droit européen de la compliance anti-corruption

La Commission constate que l’absence de politique anti-corruption cohérente entre les États membres de l’UE favoriserait l’application de législations étrangères, ce qui aurait pour conséquence de nombreux conflits juridictionnels. Ainsi, pour défendre les intérêts des entreprises européennes et promouvoir les normes européennes de lutte contre la corruption dans le monde, la commission émet plusieurs recommandations.
 
Premièrement, l’incrimination de la corruption par le droit de l’UE permettrait à ce droit de constituer un standard international, à l’instar des normes de protection des données à caractère personnel.

Une telle extraterritorialité des normes européennes permettrait de concurrencer des législations extra européennes puissantes comme le FCPA (Foreign Corrupt Practices Act) américain. En l’absence de telles dispositions, le département américain de la justice entame souvent des poursuites intrusives, avec à la clé, des sanctions pécuniaires importantes. La réputation et la compétitivité des entreprises européennes se trouvent alors affectées.

En pratique, ces mesures se traduiraient par une lutte contre la corruption privée, via le déploiement de l’outil conformité au sein des entreprises de diverses tailles, en imposant des dispositifs préventifs comme une cartographie des risques et des procédures d’analyse des tiers.

Introduire des clauses anti-corruption dans les accords de partenariat économique entre l’UE et les États tiers et priver de leurs avantages des États tiers qui ne possèdent pas d’arsenal de lutte contre la corruption satisfaisant permettrait de fermer le marché intérieur aux entreprises, reconnues coupables de corruption, et par conséquent de diffuser la culture conformité à l’échelle mondiale.

Pour armer judiciairement l’Europe, les propositions vont dans le sens de l’adoption d’un parquet européen anticorruption, afin d’une part de se conformer aux exigences de l’OCDE, et, d’autre part, de contraindre les États, à sanctionner les faits de corruption, même commis à l’extérieur de leur territoire.

En attendant l'avènement d’un tel juge, le rapport recommande aux États une collaboration plus étroite au sein d’Eurojust pour d’abord faire de la lutte contre la corruption un objectif prioritaire et faire voter des budgets humains et financiers suffisants pour remplir cette mission.

Ces mesures permettraient de restaurer une confiance entre les citoyens et leurs institutions, à l’heure où 68 % des européens jugent la corruption inacceptable et l’estiment répandue dans leur pays selon le rapport.

Par Paolina Boeuf et Jean-Baptiste Guarné
Source : Actualités du droit