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Conditions de détention indignes : la France condamnée pour indemnisation insuffisante d’un détenu

Pénal - Procédure pénale, Peines et droit pénitentiaire
24/11/2020
La France a été condamnée par la CEDH le 19 novembre 2020 pour ineffectivité du recours indemnitaire effectué par un détenu.  
Un homme est détenu à la maison d’arrêt de Caen du 28 août au 1er septembre 2008, puis du 4 novembre 2008 au 27 juillet 2010. Au cours de son second séjour, il demande au juge des référés du tribunal administratif de désigner un expert pour constater sans délai l’état de chacune des cellules qu’il avait occupées. Après avoir visité les six cellules, il rend un rapport. L’expert retient que quatre cellules étaient en bon état général et que la cinquième a été rénovée. En revanche, s’agissant de la sixième, l’expert relève notamment « qu’elle était en mauvais état et vétuste, mal éclairée et avec un volume d’air insuffisant pour cinq adultes ».
 
Le tribunal administratif évalue les frais d’expertise à hauteur de 773,57 euros. Cette somme a été mise à la charge de l’État, déclaré débiteur de l’avance au titre de l’aide juridictionnelle. Le ministre de la Justice décide de former tierce opposition assurant que l’expertise n’était pas utile, la maison d’arrêt ayant déjà fait l’objet d’un rapport. Le tribunal rejette cette requête mais la cour administrative d’appel décide en revanche d’annuler l’ordonnance du tribunal. Elle précise que la demande de constat du requérant ne présentait pas de caractère utile.
 
Le requérant décide de former un recours en responsabilité contre l’État pour obtenir réparation du préjudice résultant de ses conditions de détention à la maison d’arrêt. Le tribunal administratif juge que le requérant a subi durant un peu plus de quatre mois des « conditions de détention ne permettant pas d’assurer le respect de la dignité humaine » et condamne l’État à lui verser 500 euros. En revanche, le tribunal met à la charge du requérant les frais de l’expertise déclarée non avenue. Saisi d’un pourvoi formé par l’intéressé et d’un pourvoi incident du ministère de la Justice, le Conseil d’État les rejette.
 
Le requérant introduit une requête devant la Cour européenne des droits de l’Homme. Il se plaint de l’ineffectivité du recours indemnitaire qu’il a exercé : le montant de l’indemnisation lui paraît insuffisant et la mise en charge des frais d’expertise le rend débiteur de l’État français de 273,57 euros. Il invoque une violation de l’article 13 de la Convention combiné avec l’article 3.
 
La Cour de Strasbourg doit alors :
- examiner le régime de responsabilité mis en place et se prononcer sur l’effectivité du recours compensatoire au regard de l’article 13 ;
- rechercher si, dans la présente affaire, le requérant dont les juridictions internes ont reconnu la qualité de victime d’une violation de l’article 3 a obtenu un redressement approprié.
 
Elle juge, au cas d’espèce, que le requérant a bénéficié d’un recours approprié lui permettant d’obtenir une décision exécutoire lui allouant une indemnité en réparation du dommage subi. Affirmant que ce « recours indemnitaire ouvert devant le juge administratif revêt, dans son principe, un caractère effectif ».
 
En revanche, elle considère que le résultat auquel a abouti l’action engagée par le requérant, à savoir devoir à l’État 273,57 euros, « a privé le recours qu’il a exercé de son effectivité ».
 
En effet, elle note une « faiblesse du montant de l’indemnisation allouée et la mise à sa charge des frais d’expertise » après qu’ait été caractérisée l’existence d’un préjudice moral subi du fait de conditions de détention attentatoires à sa dignité. Elle dénonce même une « extrême modicité de cette somme ».
 
Les juges de la CEDH retiennent alors une violation de l’article 13 de la Convention combiné avec l’article 3. La France est condamnée à verser 2 000 euros au requérant pour dommage moral et 1 500 € pour frais et dépens.
 
Source : Actualités du droit