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Pourvoi en cassation : une réforme décidément bien difficile

Civil - Procédure civile et voies d'exécution
13/11/2019
La commission de réflexion présidée par Henri Nallet a remis le 7 novembre 2019 son rapport « Pour une réforme du pourvoi en cassation en matière civile » à la garde des Sceaux. Formulant plusieurs propositions, le groupe de travail prône un traitement différencié selon la nature des pourvois.
La Cour de cassation est saisie d’environ 20 000 affaires civiles par an. Pas moins de 14 000 donnent lieu à un arrêt, pour un délai de traitement d’environ 402 jours en 2018 détaille le rapport daté du 30 septembre par la commission Nallet.
 
Rappelons que dès 2017, l’ensemble des présidents de chambre de la Cour de cassation, s’étaient réunis pour proposer une procédure de sélection préalable des pourvois et avaient rendu un « Rapport de la commission de réflexion sur la réforme de la Cour de cassation » (v. Cour de cassation, projet de textes « Filtrage des pourvois », 26 mars 2018 ; v. également, Cour de cassation, rapport de la commission de réflexion sur la réforme de la Cour de cassation, avr. 2017).
 
La Cour de cassation y soulignait la nécessité de réduire le nombre d’affaires à juger pour concentrer l’essentiel de son activité sur ses missions principales qui sont « l’élaboration du droit, l’unification de la jurisprudence et la protection des droits fondamentaux ».
 
Quant à lui, le rapport intitulé « Pour une réforme du pourvoi en cassation en matière civile » daté du 30 septembre 2019 mais remis à la garde des Sceaux le 7 novembre rappelle que les propositions de la Cour de cassation « ont pour objet d’assurer une justice de meilleure qualité dans l’intérêt de l’ensemble des justiciables – qui dépasse celui des seules parties au litige – et de l’administration de la justice ». Des propositions de réforme législative et réglementaire avaient donc été faites par le premier président de la Cour de cassation à la garde des Sceaux.
 
Pour aller plus loin et réfléchir à l’opportunité d’instaurer une procédure de filtrage des recours, Nicole Belloubet avait confié à Henri Nallet et un groupe de personnes qualifiées la mission « d'évaluer les principes et modalités à retenir pour mettre en place une réforme ambitieuse et partagée du pourvoi en cassation » en plaçant l’intérêt du justiciable au centre de ses réflexions » détaille le rapport (v. Pourvoi en cassation : la ministre de la justice installe une commission de réflexion, Actualités du droit, 21 décembre 2018). « Une tâche importante, lourde et sensible », avait alors affirmé la ministre.
 
Il aura fallu pas moins de 30 réunions de travail pour finaliser ce rapport. Car selon les auteurs, « Cette question de la sélection des pourvois devant la Cour de cassation, d’apparence technique et analysée depuis des années dans tous ses aspects, nous impose une interrogation sur le fonctionnement de l’ensemble de l’institution judiciaire et sa place dans la société actuelle ».
 
Rappelons que cette commission regroupait moins d’une dizaine de personnes. L’une d’entre elles, Bruno Pireyre, s’est retirée, et Pascal Chauvin, ne partage pas les propositions formulées.
 
Le groupe de travail propose trois projets alternatifs au filtrage proposé par la Cour.
 
Confier aux cours d’appel l’examen des pourvois en cassation 
Seuls les moyens préalablement présentés aux juridictions du second degré seraient recevables devant la Cour de cassation. Cela permettrait de réduire le nombre de saisines sans en fermer l’accès. Il n’empêche que « sa mise en œuvre imposerait toutefois de renforcer les effectifs des cours d’appel et de former tous leurs magistrats à la technique de cassation ». Les cours d’appel y sont pour certaines opposées, estimant qu’il existe d’autres priorités.
 
Une formation restreinte ou un juge unique pour décider de l’admission ou non des pourvois
Technique utilisée par le Conseil d’État, elle confierait le soin à un juge unique ou une formation restreinte de décider de la non-admission des pourvois lorsque les moyens ne sont pas susceptibles d’entraîner la cassation. « Ce système permettrait d’éliminer rapidement les pourvois aux moyens inopérants et inciterait les avocats à une plus grande vigilance » avance le groupe de travail.
 
Renforcer la procédure d’admission et le traitement différencié
En renforçant la procédure d’admission et le traitement différencié des pourvois, notamment via la simplification et l’accélération des affaires relevant de la fonction unificatrice et disciplinaire de la Cour de cassation, cela lui donner l’opportunité de dégager du temps afin qu’elle assure son rôle normatif et motive toujours davantage ses arrêts.  « À cette fin, il a été suggéré qu’au terme d’une procédure accélérée, un juge unique rejette ou casse les pourvois manifestement infondés ou manifestement contraires à un texte ou à une jurisprudence » détaille le rapport.
 
Ce système d’admission et de parcours différencié selon la nature des pourvois, qui suppose toujours un contrôle de légalité, serait mieux accepté par les juristes qu’un système de filtrage où le contrôle n’est plus obligatoire, avance le groupe de travail mené par Henri Nallet. Il aurait comme avantage d’« alléger au maximum la procédure d’admission pour permettre aux membres de la Cour de cassation de se concentrer sur les pourvois ayant une portée normative », esprit de la réforme voulue en 2001 rappelle le texte.
 
« Dès lors, le groupe de travail prône le renforcement de la procédure d’admission et de traitement différencié des pourvois » conclut le rapport.
 
Une réforme qui en appelle une autre
Une réflexion sur l’organisation interne de la Cour de cassation, particulièrement la coordination des actions des différentes chambres pour donner à la procédure de sélection toute son ampleur, devrait être menée.
 
Autre point relevé par le groupe de travail relatif au renforcement des décisions de la Cour de cassation qui passerait par une éventuelle limitation du droit des juridictions du fond de s’affranchir d’une décision de la Cour, avis ou arrêt.
 
En parallèle, « et quelle que soit la solution retenue pour renforcer la procédure d’admission et les voies différenciées de traitement des pourvois, une réaffirmation du statut, du rôle et de la place du parquet général de la Cour de cassation semble indispensable », et cela pourrait passer par la reformulation de l’article 5 de l’ordonnance du 22 décembre 1958 (ord. n° 58-1270 , 22 déc. 2018, art. 5) qui prévoierait que les magistrats du parquet général ne soient plus placés sous l’autorité du garde des Sceaux.
 
« En toute hypothèse, il est important de relever que la quasi-totalité des personnes entendues ont retenu que l’introduction d’un système de sélection des pourvois devant la Cour de cassation, quelles qu’en soient les modalités (filtrage, admission, circuits différenciés), devrait impérativement être conditionnée à un renforcement de l’autorité des décisions et de la qualité des débats devant l’ensemble des juridictions du fond par une réforme globale qui intègre toute la procédure civile, l’organisation judiciaire, les ressources humaines et le budget, afin que les justiciables aient le sentiment d’avoir été écoutés et entendus » prévoit la commission Nallet.
 
Une évolution attendue par la nouvelle première présidente de la Cour de cassation qui déclarait à l’audience solennelle d’installation du 6 septembre 2019 (v. Première présidence de la Cour de cassation : les ambitions de Chantal Arens, Actualités du droit, 6 sept. 2019) qu’elle souhaitait mener « une politique de sélection active des affaires » et affirmait de son côté que « grâce à un repérage précoce des affaires posant une question nouvelle ou de principe, un traitement des pourvois selon des circuits différenciés sera privilégié auquel répondra une motivation adaptée et graduée, de la non motivation à la motivation développée ».
 
Les 5 propositions émises par le groupe de travail
- Renforcer la procédure d’admission et instaurer un traitement différencié des pourvois, 
Cette réforme est de niveau législatif.
- Solliciter les commissions des lois du Parlement dans un délai à déterminer afin (a) de procéder à une évaluation de la procédure d’admission et de traitement différencié des pourvois et (b) de débattre, sur proposition du garde des sceaux, d’un éventuel mécanisme de filtrage.
- Réserver le renvoi à l’assemblée plénière aux seules affaires posant une question de principe et renforcer l’autorité des avis,
Cette proposition requiert une réforme législative.
- Réformer le statut du parquet général de la Cour de cassation afin d’affirmer son indépendance,
La réforme, par une loi organique, du statut des magistrats du parquet général de la Cour de cassation serait nécessaire pour permettre la mise en œuvre de cette proposition.
- Accompagner la réforme du système de sélection des pourvois devant la Cour de cassation, quelles qu’en soient les modalités, par un renforcement de l’autorité des décisions des juridictions du fond. 
Source : Actualités du droit