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La visite domiciliaire du Code de l’urbanisme est contraire à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme

Public - Urbanisme
Civil - Immobilier
22/05/2019
Par une décision du 16 mai 2019, la Cour européenne des droits de l’homme considère que l’article L. 461-1 du Code de l’urbanisme, dans sa rédaction antérieure à la loi Élan, est contraire à l’article 8 de la conv. EDH, qui proclame le droit de toute personne au respect de sa vie privée et familiale et de son domicile.
En l’espèce, le requérant, par l’intermédiaire d’une société anonyme, a fait l’acquisition d’un ensemble immobilier, et a par la suite obtenu plusieurs permis de construire et déposé une déclaration de travaux. Deux agents assermentés du service de l’urbanisme ont alors constaté diverses infractions aux règles d’urbanisme, après avoir procédé à une visite domiciliaire sur le fondement de l’article L. 461-1 du Code de l’urbanisme afin de contrôler les travaux réalisés, sans l’accord préalable du propriétaire et en son absence.

Selon le requérant, qui invoque le principe de l’inviolabilité du domicile, les agents ne pouvaient pénétrer dans la propriété sans avoir préalablement recueilli son consentement, conformément aux différentes réponses ministérielles faisant état de cette nécessité (Rép. min. à QE n° 19439, JO Sénat Q. 2 févr. 2006, p. 309 ; Rép. min. à QE n° 8680, JOAN Q. 30 janv. 1989, p. 422 ; Rép. min. à QE n° 74381, JOAN Q. 31 janv. 2006, p. 1094). Tout en reconnaissant le but légitime de cette ingérence prévue par la loi, il considère que cette mesure n’est pas nécessaire dans une société démocratique. De plus, le requérant estime qu’il ne dispose d’aucun recours effectif, la faculté de saisir la chambre de l’instruction d’une requête en annulation des procès-verbaux constatant l’infraction étant dépourvue de tout effet utile.

La CEDH reconnaît que cette disposition poursuit un but légitime au sens de l’article 8 §2 de la conv. EDH, qui définit les conditions sous lesquelles il peut y avoir ingérence de l’État dans la jouissance du droit garanti.
La problématique est alors de savoir si la visite domiciliaire prévue par le Code de l’urbanisme s’avère nécessaire dans une société démocratique. La notion de nécessité implique que l’ingérence corresponde à un besoin social impérieux et qu’elle soit proportionnée au but légitime poursuivi (CEDH, 2 sept. 2010, aff. 35623/05, Uzun c/ Allemagne).

La Cour admet que la visite s’est avérée justifiée in fine. Cependant, elle souligne que, si les États peuvent estimer nécessaire de recourir à de telles mesures pour établir la preuve matérielle des délits et en poursuivre, le cas échéant, les auteurs, il faut que leur législation et leur pratique en la matière offrent des garanties suffisantes contre les abus (CEDH, 21 déc. 2010, aff. 29408/08, Société Canal Plus et autres c/ France).
La Cour relève alors que l’article L. 461-1 du Code de l’urbanisme ne requière pas l’accord préalable de l’occupant, seules quelques réponses ministérielles faisant état de cette nécessité (qui n’a pas été suivie en l’espèce). D’autre part, elle considère que la possibilité pour l’occupant de s’opposer à une telle visite est purement théorique dans la mesure où un tel refus est en lui-même constitutif d’une infraction pénale prévue par l’article L. 480-12 du Code de l’urbanisme. Par ailleurs, la Cour estime que le recours devant la chambre de l’instruction tendant à l’annulation du procès-verbal de visite domiciliaire est dépourvu de tout effet utile, les juridictions internes ayant refusé d’annuler ce procès-verbal sur le fondement de l’inviolabilité du domicile.

Dès lors, la Cour considère qu’il y a eu violation de l’article 8 de la Convention.

En vertu de l’article L. 461-1 du Code de l’urbanisme, dans sa rédaction en vigueur au moment des faits, le préfet et l’autorité compétente « peuvent visiter les constructions en cours, procéder aux vérifications qu’ils jugent utiles et se faire communiquer tous documents techniques se rapportant à la réalisation des bâtiments », ce droit de visite pouvant également être exercé « après l’achèvement des travaux pendant trois ans ». Cet article ne précisait donc ni les modalités du droit de visite et de communication qu’il consacrait. Pourtant, le Conseil constitutionnel a jugé que le droit de visite était conforme à la Constitution (Cons. const. QPC, 9 avr. 2015, n° 2015-464), soulignant son caractère spécifique et délimité. De même, la Cour de cassation n’a pas relevé de contrariété à l’article 8 de la conv. EDH, s’appuyant sur le caractère non coercitif de la visite domiciliaire (Cass. crim., 1er sept. 2015, n° 14-84.940).

Les droits de visite et de communication ont été réformés par la loi n° 2018-1021 du 23 novembre 2018 (JO 24 nov.) portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique, dite loi Élan. Ainsi, le législateur, conscient de la fragilité de l’ancien droit de visite domiciliaire vis-à-vis de la conv. EDH, a voulu lui conférer un cadre juridique plus précis et redéfinir l’infraction qui en assure le respect.

Alice Castel
Source : Actualités du droit