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Chantiers de la Justice et procédure civile : état des lieux du contenu du projet de loi et de l’avis de Conseil d’État

Civil - Procédure civile et voies d'exécution
25/04/2018
Présenté en Conseil des ministres le 20 avril 2018, le projet de loi de programmation pour la Justice 2018-2022 reprend en grande partie les propositions faites dans les rapports initiaux. Récapitulatif des mesures retenues en ce qui concerne la procédure civile, telles qu’appréciées par le Conseil d’État dont l’avis a (enfin) été rendu public.
Outre une progression des crédits alloués et des efforts en matière de recrutement, selon une « trajectoire budgétaire sécurisée sur cinq ans » (PLPJ, Rapp. annexé, p. 1), le projet de loi, renommé « de programmation 2018-2002 et de réforme de la justice » sur recommandation du Conseil d’État (CE, ass., avis, 12 avr. 2018, n° 394535, § 2), comporte une petite vingtaine d’articles relatifs à la simplification de la procédure civile stricto sensu.
Peu de critiques ont été formulées par le Conseil d’État en ce qui concerne cette matière, mais il a néanmoins été souligné, de manière globale, « la nécessité d’assurer la codification de l’ensemble de ces dispositions législatives, en particulier celles relatives aux modalités de représentation des parties, à la publicité des audiences ou des débats et aux modes de résolution amiable des différends, avec l’objectif d’en assurer la cohérence avec les dispositions de nature réglementaire, actuellement contenues dans le Code de procédure civile et de les ordonner pour en faciliter l’accessibilité » (CE, avis précité, § 11).
 

1) Modes alternatifs de règlement des différends


Dans le cadre de la « redéfinition du rôle des acteurs du procès », à laquelle le Conseil d’État est "globalement favorable" (CE, avis précité, § 12), il est proposé en premier lieu, comme dans l’avant-projet, de « développer la culture du règlement amiable des différends » (sur les mesures relatives aux MARD dans l’avant-projet de loi de programmation pour la Justice, voir ici notre actualité du 19/03/2018).

Pouvoir d’injonction du juge. — Est d’abord confirmée, la généralisation du pouvoir du juge d’enjoindre aux parties de rencontrer un médiateur, en tout état de la procédure, y compris en référé, sauf lorsque le juge ordonne la médiation dans la décision statuant définitivement sur les modalités de l’autorité parentale.

Tentative obligatoire de résolution amiable préalable. — Est également maintenu, l’élargissement du domaine de la conciliation préalable obligatoire devant le TGI, à peine d’irrecevabilité : dans certains domaines et pour certains montants définis par décret, la saisine du tribunal de grande instance devra, sauf exceptions, être précédée d’une tentative de règlement amiable, menée par un conciliateur de justice, un médiateur de justice ou réalisée par le biais d’une procédure participative. Le Conseil d’État a émis un avis favorable, dès lors que « la possibilité donnée au juge de prononcer d’office l’irrecevabilité de sa saisine lorsque celle-ci n’a pas été précédée de la mise en œuvre d’un mode de résolution amiable du litige est circonscrite à de petits litiges et elle est assortie d’exceptions qui la rendent compatible avec le principe de l’accès effectif au juge, les parties ayant, au demeurant, le choix du mode de règlement qui leur apparaît le plus approprié » (CE, avis précité, § 15). On rappellera que ce choix n’était pas prévue dans l’avant-projet, la Chancellerie ayant revu sa copie sous la pression, notamment, des avocats.

Offres en ligne. — En ce qui concerne la sécurisation de l’offre en ligne de résolution amiable des différends, on observera simplement que les quatre nouveaux articles qui seraient insérés après l’article 4 de la loi dite « J 21 » (L. n° 2016-1547, 18 nov. 2019, JO 19 nov.), pour encadrer la fourniture, de manière rémunérée ou non, de prestations d’aide à la résolution amiable ont été en partie reformulés, mais l’essentiel est maintenu : nécessaire respect des obligations relatives à la protection des données personnelles et de confidentialité sauf accord des parties ; obligations de diligence, d’indépendance et d’impartialité des personnes chargées de la résolution amiable ; impossibilité que le mode de résolution amiable résulte exclusivement d’un traitement par algorithme et nécessité d’une mention explicite et d’un consentement exprès des parties en cas de résolution partiellement à l’aide d’un traitement algorithmique et, enfin, possible certification dans des conditions définies par voie réglementaire. À cet égard, le Conseil d’État souligne que « le projet pose, à juste titre, les règles nécessaires à l’encadrement de cette activité, tant pour la protection des données personnelles des personnes concernées que pour assurer la qualité et la sécurité de ces prestations, règles auxquelles s’ajoute l’opportune perspective d’une certification » (CE, avis précité, § 17)
 

2) Représentation obligatoire


Les règles relatives à la représentation des parties vont évoluer (sur le contenu de l’avant-projet, voir ici, notre actualité du 19/03/2018). Ainsi, le principe serait désormais celui de la représentation obligatoire devant le tribunal paritaire des baux ruraux et devant le JEX, sauf en matière d’expulsion et en-dessous d’un certain montant déterminé par décret en Conseil d’État. Vont également évoluer, les dispositions relatives à la représentation dans le cadre du contentieux général et technique de la sécurité sociale et du contentieux de l’admission à l’aide sociale. Les règles du Code de procédure civile auront également vocation à être mises en œuvres dans le cadre des procédures douanières relevant des juridictions civiles. Enfin, dans les matières ou en-deçà d’un montant définis par décret en Conseil d’État où le ministère d’avocat ne sera pas obligatoire devant le TGI, les parties pourront se faire représenter selon les modalités actuelles de représentation notamment devant le TI (CPC, art. 828).

Le Conseil d’État note que « le principe de la représentation obligatoire des parties ne peut, en principe, qu’assurer une meilleure présentation des causes et favoriser la qualité des décisions juridictionnelles, dans un contexte de complexification du droit ». Il relève néanmoins un risque de coûts supplémentaires à la charge des particuliers et du budget de l’aide juridictionnelle, dont il sera « essentiel d’en apprécier l’incidence pendant le temps d’application de la loi de programmation » (CE, avis précité, § 19). On rappellera également ici que le Conseil d’État préconise une codification de l’ensemble des dispositions relatives notamment à la représentation des parties.
 

3) Déjudiciarisations


Dans la perspective de « recentrer l’office des juridictions », plusieurs mesures de déjudiciarisation sont envisagées. Par rapport à ce qui était initialement prévu (pour un état des lieux, voir ici notre actualité du 19/03/2018), certaines mesures ont d’ores et déjà été retirées, particulièrement la déjudiciarisation des opérations relatives à la vente forcée d’immeuble en cas de saisie immobilière.

Actes de notoriété. — Sont en revanche maintenues, les dispositions permettant de confier aux notaires l’établissement des actes de notoriété dans le cadre du constat de la possession d’état et de la reconstitution des actes de l’état civil détruits ou disparus. Pour le Conseil d’État, ces dispositions n’appellent pas d’observation, si ce n’est que le dernier transfert, « quoiqu’ayant des incidences directes ou indirectes sur l’état civil, voire la nationalité », « ne peut être regardé comme la délégation d’une mission de souveraineté, étant rappelé qu’il s’intègre dans une mission déjà remplie par ces officiers publics et ministériels » (CE, avis précité, § 20).

Recueil du consentement en matière de AMP. — En ce qui concerne le recueil du consentement en matière d’assistance médicale à la procréation (AMP), qui serait confié aux officiers publics et ministériels, le Conseil d’État estime ce choix est prématuré au regard de la future révision des lois bioéthiques, les dispositions en cause étant susceptibles d’être contredites ou aménagées par les travaux préparatoires à cette réforme et les débats parlementaires (CE, avis précité, § 21).

Révision des pensions alimentaires — Est également validée par le Conseil d’État, la déjudiciarisation expérimentale de la révision des pensions alimentaires, avec habilitation du Gouvernement à légiférer par ordonnance. Pour le Conseil d’État, le fait de permettre la délivrance des titres exécutoires afférents à la modification des contributions à l’entretien et à l’éducation des enfants, autrement que par l’obtention d’une décision juridictionnelle du juge aux affaires familiales, « est de nature à décharger les juges aux affaires familiales et à accélérer la mise à exécution des décisions de modification de ces contributions » (CE, avis précité, § 22). En ce qui concerne les autorités concernées, le Conseil d’État rappelle que la formulation initiale était « excessivement vague » et propose, conformément aux intentions du Gouvernement, de désigner expressément les caisses d’allocations familiales. En outre, il estime que si les conditions dans lesquelles la délivrance de ces titres exécutoires est circonscrite, que l’application d’un barème national pour décider la modification d’une contribution préviennent le risque de solutions disparates dans des situations complexes et que la possibilité d’un recours devant le juge aux affaires familiales est de nature à protéger les droits et intérêts des parties, il n’en reste pas moins que la production des documents nécessaires à la délivrance des titres exécutoires devra s’effectuer dans le respect du principe de la contradiction (CE, avis précité, § 23).

Apostilles et légalisations. — Le gouvernement est autorisé à prendre par ordonnance, les mesures nécessaires pour simplifier et moderniser la délivrance des apostilles et des légalisations sur les actes publics établis par une autorité française et destinés à être produits à l’étranger. Le Conseil d’État confirme que la délégation ne se heurte à aucun obstacle constitutionnel, mais propose de définir plus précisément les bénéficiaires éventuels de cette délégation lorsqu’il ne s’agit pas d’officiers publics et ministériels : il devra s’agir d’une personne publique ou un organisme de droit privé chargé d’une mission de service public dont les compétences, la mission et le statut justifient l’intervention. Est également relevée, l’existence d’une mission conjointe de l’Inspection générale du ministère des Affaires étrangères et de l’Inspection générale de la Justice, « dont les conclusions sont imminentes et détermineront les choix opportuns » (CE, avis précité, § 26).

Autres allègements des fonctions des greffes et juridictions. — Sont également maintenues, les dispositions relatives au changement de régime matrimonial. L’allègement du contrôle a priori du juge des tutelles pour les actes de gestion patrimoniale n’appelle, quant à lui, pas d’observation de la part du Conseil d’État, pas plus que la simplification du formalisme nécessaire au prononcé de l’amende civile pour non-respect des règles applicables au changement d'usage des locaux destinés à l'habitation. Pour ce qui est de la gestion, par la Caisse des dépôts et consignations, des fonds issus de la saisie des rémunérations et des sommes consignées dans le cadre d’une expertise, le Conseil d’État y est également favorable, mais met en exergue la nécessité de mettre en œuvre un outil informatique approprié « qui seul garantira le succès de ce transfert » (CE, avis précité, § 24).
 

4) « Simplifications » juridictionnelles


Afin d’ « assurer l’efficacité de l’instance », le projet de loi de programmation propose de modifier l’architecture de la procédure applicable à la procédure de divorce, notamment en supprimant la tentative de conciliation préalable et, par rapport à l’avant-projet (voir ici, notre actualité du 19/03/2017), en permettant de ne pas indiquer le fondement du divorce lors de l’introduction de l’instance. Il est également préconisé de dématérialiser le règlement de certains litiges, par la création d’une juridiction nationale de traitement dématérialisé des injonctions de payer.

De manière encore moins consensuelle, il est envisagé de permettre le règlement des litiges dans audience, avec l’accord des parties. Rappelant la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, qui admet la possibilité d’une renonciation à a publicité des débats à condition qu’elle soit non équivoque et ne se heurte à aucun intérêt public important, le Conseil d’État en valide le principe, mais considère qu’une procédure exclusivement écrite et sans audience implique l’accord exprès des parties. Il estime également que sous réserve de l’appréciation par le juge des circonstances particulières de l’espèce, de telles modalités sont « particulièrement adaptées au traitement par voie dématérialisée des petits litiges afférents à des demandes en paiement n’excédant pas un montant fixé par décret en Conseil d’État » (CE, avis précité, § 30 et 31).

Le Conseil d’État souscrit à la demande d’habilitation sollicitée par le Gouvernement pour assurer une mise en cohérence des règles applicables à la procédure « en la forme des référés » et harmoniser le traitement au fond des contentieux concernés, de manière rapide et efficace.

Enfin, les aménagements relatifs aux mesures de protection des majeurs, en vue de « simplifier pour mieux juger » sont intégralement maintenus dans le projet de loi, qu’il s’agisse de la modification du cadre de l’habilitation familiale, des propositions relatives au contrôle et à la vérification des comptes de gestion de la tutelle ou bien encore de celles destinées à renforcer l’efficacité des décisions rendues en matière d’autorité parentale (voir ici, notre actualité du 19/03/2018). Dans l’ensemble, ces propositions n’appellent pas d’observation particulière du Conseil d’État, si ce n’est que la possibilité, pour le parquet, de recourir à la force publique pour assurer l’exercice de l’autorité parentale doit être mise en œuvre à la demande de la partie concernée ou du juge et qu’il est préconisé de, d’abord, privilégier toute voie propre à favoriser le rapprochement des parties et l’intérêt des enfants (CE, avis précité, § 34).
Source : Actualités du droit