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Lutte contre les violences sexuelles : pas de réforme du dispositif pénal en vue

Pénal - Droit pénal spécial
09/05/2017
Interrogé en octobre 2016, le ministère de la Justice répond à une question écrite sur le dispositif actuel de répression de viols et agressions sexuelles et rejette une éventuelle adaptation de son action aux recommandations du Haut Conseil à l'égalité.
Répondant indirectement aux recommandations du Haut conseil à l’Égalité (HCE, avis n° 2016-09-30-VIO-022, 5 oct. 2016, Doc. fr), le ministère de la Justice estime ne pas devoir modifier le dispositif normatif en vigueur, « les dispositions de droit pénal et de procédure pénale permett[a]nt d'ores et déjà de réprimer efficacement les crimes et délits de nature sexuelle, notamment lorsqu'ils sont commis à l'encontre de mineurs ».

Définition des éléments constitutifs. — La Chancellerie estime d’abord qu’une définition plus précise des éléments constitutifs des agressions sexuelles ne serait pas « opportune », les incriminations actuelles du viol et de l'agression sexuelle permettant au juge d'appréhender la totalité des faits susceptibles d'être poursuivis. Or, « une trop grande précision des éléments constitutifs des infractions de viol et d'agression sexuelle risquerait d'aboutir à l'inverse de l'effet recherché et de conduire à une acception plus restrictive de ces notions ».

Correctionnalisation. — S'agissant, ensuite, de la proposition relative à la lutte contre la correctionnalisation des viols, le ministère de la Justice rappelle qu’il faut ici de distinguer deux mécanismes :
  • d’une part, la correctionnalisation en droit, qui résulte d’une décision juridictionnelle, susceptible d'être contestée par les voies de recours prévues par la loi, qui intervient lorsque les éléments de preuve démontrant la réalité d'une agression sexuelle sont insuffisants à établir une pénétration sexuelle ;
  • d’autre part, la pratique de la correctionnalisation « en opportunité », consacrée par la loi dite « Perben II » du 9 mars 2004 (L. n° 2004-204, 9 mars 2004, JO 10 mars) à l'article 469 du Code de procédure pénale et considéré par la Cour de cassation comme conforme articles 6 et 8 de la Convention européenne des droits de l'Homme (Cass. crim., 7 janv. 2009, n° 08-83.719) : le tribunal correctionnel, saisi par le renvoi ordonné par la chambre de l'instruction ne peut renvoyer le ministère public à mieux se pourvoir s'il estime que les faits poursuivis sous une qualification délictuelle sont de nature à entraîner une peine criminelle, dès lors que la victime était constituée partie civile et assistée d'un avocat lorsque le renvoi a été ordonné. La victime a la possibilité de contester la correctionnalisation lors de la phase de règlement du dossier (sur la faculté dérogatoire d’interjeter appel de l'ordonnance de renvoi en correctionnelle, voir C. pr. pén., art. 186-3). La Chancellerie en rappelle en outre l’une des justifications : « le mécanisme de la correctionnalisation est nécessaire pour lutter contre l'encombrement du rôle des cours d'assises, qui ne permet pas de renvoyer devant cette juridiction l'ensemble des affaires, sauf à entraîner des délais de jugement qui ne seraient pas raisonnables et nuiraient à la prise en charge des victimes ».

Présomption d’absence de consentement (fixation d’un âge). — En ce qui concerne la fixation, dans le Code pénal, d'un seuil en dessous duquel un enfant serait présumé ne pas avoir consenti à une relation sexuelle avec un majeur et pour l'ensemble des atteintes sexuelles qualifiées d'incestueuses par la loi, la Chancellerie estime, à nouveau, que la proposition n’est pas opportune. Ceci, pour plusieurs raisons :
  • le caractère arbitraire du choix d'un âge seuil ;
  • le risque d'effet contre-productif de l'effet de seuil, « susceptible d'aboutir à ce que les mineurs de plus de 13 ans soient moins protégés qu'ils ne le sont actuellement, les professionnels appréciant de la même façon les conditions du viol concernant l'ensemble des mineurs, quel que soit leur âge, étant rappelé que la loi protège déjà particulièrement les victimes mineures de 15 ans » ;
  • l’introduction d’une présomption irréfragable en matière pénale apparaît incompatible avec le principe de présomption d'innocence, nonobstant l'impératif de protection des mineurs ;
  • l'impossibilité qu’il en résulterait de prendre en compte les circonstances de chaque cas d'espèce.
 
Délais de prescription. — Sur ce point, la Chancellerie observe « que le régime de prescription des viols et agressions sexuelles commis au préjudice de mineurs, qui est fortement dérogatoire au droit commun, en ce qu'il fait courir un délai de prescription, selon les cas, de dix ou vingt ans à compter de la majorité de la victime, paraît satisfaisant ». Il en est désormais de même s'agissant des viols ou des agressions sexuelles commis sur des majeurs, la loi du 27 février 2017 (L. n° 2017-242, 27 févr. JO 28 févr.) ayant doublé les délais de prescription applicables pour les porter à vingt ans pour les viols et à six ans pour les agressions sexuelles (sur cette réforme, voir « Réforme de la prescription pénale : nouveaux délais et application de la loi dans le temps », Actualité du 01/03/2017.
 
Source : Actualités du droit