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Irresponsabilité pénale : le rapport de la mission flash publié

Pénal - Droit pénal général
01/07/2021
La mission flash sur l’application de l’article 122-1 du Code pénal a rendu ses conclusions. Sont proposées : la conservation de l’article, la prise en compte de la faute antérieure ou encore la création d’une infraction autonome d’intoxication délibérée.
Un projet de loi a été annoncé sur l’irresponsabilité pénale en avril dernier (Irresponsabilité pénale : réforme en vue, Actualités du droit, 26 avr. 2021). Rappelons, la Cour de cassation, dans une décision du 14 avril 2021 rendue dans l’affaire Halimi invitait le législateur à se saisir de cette question affirmant que « le juge ne peut distinguer là où le législateur a choisi de ne pas distinguer » (v. Affaire Sarah Halimi : l’irresponsabilité pénale du meurtrier confirmée, Actualités du droit, 14 avr. 2021). Quelques jours plus tard, une mission flash a été confiée à Naïma Moutchou et Antoine Savignat sur l’application de l’article 122-1 du Code pénal.
 
23 acteurs de la chaîne pénale ont été auditionnés. Une question était posée : « la consommation volontaire de produits stupéfiants lorsqu’elle est à l’origine d’un trouble ayant aboli le discernement doit-elle exclure l’irresponsabilité pénale » ?
 
 
L’irresponsabilité pénale en cas d’abolition du discernement
Le rapport rappelle : « La responsabilité pénale suppose la conscience de ses actes, l’intention d’agir étant nécessaire pour caractériser l’élément moral de l’infraction ». L’article 122-1 du Code pénal prévoit alors deux hypothèses :
- l’irresponsabilité pénale en cas d’abolition du discernement ;
- l’atténuation de la responsabilité pénale et la réduction des peines encourues en cas d’altération du discernement.
 
Trois perspectives d’amélioration du régime actuel de l’irresponsabilité actuelle sont proposées :
- une prise en compte de la faute antérieure ;
- le maintien de la compétence de la chambre de l’instruction sur la déclaration d’irresponsabilité pénale ;
- la reconsidération du rôle et de la place de l’expert dans la formation de la décision judiciaire.
 
 
La conservation de l’article 122-1 du Code pénal
La mission souhaite conserver l’article 122-1 du Code pénal. Néanmoins deux difficultés sont soulevées :
- une différence ténue entre les deux notions, particulièrement entre l’abolition complète et la forte altération ;
- et le fait que les experts peuvent se prononcer tant sur des aspects scientifiques et médicaux que sur des considérations d’opportunités sur l’application de la règle de droit et les attentes de la société, voire « sur des convictions théoriques contraires à la lettre et à l’esprit de la loi ».
 
« Pour autant, de l’avis unanime des professionnels entendus, il ne semble pas judicieux de modifier l’article 122-1 du Code pénal ». La mission rappelle néanmoins que le partage entre l’abolition et l’altération du discernement doit « toujours laisser une large part d’appréciation au juge, auquel l’expert apporte un point de vue qui ne saurait s’imposer à la juridiction ».

Est alors proposée l’exclusion de l’irresponsabilité pénale dans certains cas, précisément lorsque l’abolition du discernement a été délibérée par l’intoxication volontaire de l’auteur, de manière à faciliter la commission de l’infraction. « Dans ce cas, l’intention criminelle a préexisté à la commission de l’infraction ». L’application de l’article 122-1 du Code doit être expressément écartée.
 
 
La création d’une infraction autonome d’intoxication délibérée
La loi ne fait pas de distinction selon l’origine du trouble et impose de ne tenir compte que d’un instant précis, celui de la commission des faits. Quid d’une responsabilité pour une faute antérieure commise délibérément par l’auteur des faits et ayant joué un rôle prépondérant dans leur commission ?
 
Concrètement, les rapporteurs « considèrent que l’irresponsabilité pénale ne peut se justifier lorsqu’elle fait suite à une intoxication délibérée de l’auteur qui prend la décision libre et éclairée de se plonger dans un état d’inconscience dans lequel il est susceptible de mettre en danger la vie ou l’intégrité physique d’autrui ».
 
Ils proposent ainsi de créer une infraction autonome et intentionnelle d’intoxication délibérée. Serait réprimé le fait « de s’intoxiquer délibérément et de commettre, dans un état de trouble mental ayant aboli temporairement le discernement du fait de l’intoxication, une atteinte à la vie ou à l’intégrité d’une personne ».
 
Précisions :
- l’incrimination couvrirait la consommation de produits stupéfiants et celle, excessive, de médicaments accessibles sur prescription médicale et de biens dont le commerce est libre ou faiblement réglementé ;
- ne concernerait que les personnes qui auraient retrouvé leurs esprits à la suite de l’intoxication ;
- et s’appliquerait aux homicides et aux violences.
 
Les experts devront se prononcer tant sur le moment des faits que sur celui de la prise de substance ayant aboli de discernement pour évaluer l’état mental de l’auteur.
 
Quant au quantum de peine, il devrait être inférieur à celle encourue en cas de meurtre ou de violences volontaires. Les rapporteurs préconisent alors une peine correctionnelle pour la sanction d’une atteinte à l’intégrité d’une personne et une peine criminelle, relevant de la cour criminelle, en répression d’une atteinte à la vie.
 
 
Quelle juridiction compétente pour se prononcer sur l’irresponsabilité ?
A été étudiée l’hypothèse dans laquelle la déclaration d’irresponsabilité pénale serait confiée à la juridiction de jugement. Néanmoins, les rapporteurs estiment qu’elle « emporterait plus de risques que de bénéfices ». Ils préconisent ainsi de laisser à la chambre de l’instruction sa compétence sur l’irresponsabilité pénale.
 
 
Repenser l’expertise
Dernier point. Le rapport propose de repenser l’expertise. En effet, « il n’est pas envisageable de conclure le propos sans appeler à une réflexion sur le rôle, la mission et la valorisation de l’expert dans le traitement de l’irresponsabilité pénale ». Est notamment préconisée l’amélioration de la formation des experts pour préciser leur mission et réaffirmer leur place.
 
Un projet de loi devrait être proposé à la fin du mois de juillet en Conseil des ministres.

 
Rappelons que Nicole Belloubet, alors garde des Sceaux, avait demandé une mission portant sur « l’impact de l’absorption de substances exogènes sur la responsabilité pénale d’un auteur d’infraction » en juin 2020. Reçu officiellement par Éric Dupond-Moretti, il avait jugé préférable d’attendre l’aboutissement du pourvoi formé devant la Cour de cassation dans l’affaire Sarah Halimi avant de le rendre public pour ne pas interférer avec les débats judiciaires alors en cours (Ministère de la justice, 25 avr. 2021). Les rapporteurs retenaient qu’il n’était pas nécessaire de modifier l’article 122-1 du Code pénal mais formulaient des propositions d’améliorations.
 
 
 
Source : Actualités du droit