Retour aux articles

Confiance dans l’institution judiciaire : quels changements côté procédure juridictionnelle ?

Pénal - Vie judiciaire, Procédure pénale
15/04/2021
Lors de son investiture, Éric Dupond-Moretti avait annoncé un programme chargé pour améliorer la justice. Promesse tenue, le projet de réforme pour la confiance dans l’institution judiciaire arrive au Parlement. Retour sur ce texte.
Le 14 avril, le garde des Sceaux a présenté deux projets de loi, l’un organique, l’autre ordinaire, pour la confiance dans l’institution judiciaire. Objectifs :
- mieux faire connaître le fonctionnement de la justice ;
- renforcer les droits des citoyens à chaque étape de la procédure juridictionnelle ;
- redonner du sens à la peine et mieux préparer la réinsertion du détenu (v. Confiance dans l’institution judiciaire : quel impact en droit pénitentiaire ?, Actualités du droit, 15 avr. 2021) ;
- renforcer la confiance dans l’action des professionnels du droit.
 
Focus sur les deux premiers objectifs du projet de loi.
 
 
L’enregistrement et la diffusion des audiences
Le 28 septembre 2020, le garde des Sceaux avait affirmé dans une vidéo « je souhaite que les audiences soient filmées et que les procès soient diffusés » (v. Filmer les audiences : le débat est relancé, Actualités du droit, 29 sept. 2020).
 
L’article 1er du projet de loi insère alors un article 38 quater dans la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse et prévoit un nouveau régime d’autorisation d’enregistrement sonore ou audiovisuel des audiences judiciaires et administratives en vue de leur diffusion fondée sur un « motif d’intérêt public ».
 
Quel encadrement ? L’enregistrement n’est pas conditionné à l’accord des parties au procès et des personnes enregistrées, une fois l’autorisation accordée. Néanmoins, l’accord préalable sera nécessaire pour les audiences non publiques.
 
L’enregistrement ne doit pas porter atteinte au bon déroulement de la procédure ou des débats, ni au libre exercice des droits des parties et personnes enregistrées. Le président pourra alors décider de suspendre ou d’arrêter l’enregistrement pour l’un de ces motifs, au titre de la police de l’audience.
 
S’agissant de l’image et des autres éléments d’identification, ils ne pourront être diffusés qu’avec le consentement donné par écrit avant la tenue de l’audience des personnes enregistrées (rétractation possible pour les parties et témoins). En revanche, les éléments d’identification des mineurs et des majeurs protégés sont systématiquement occultés.
 
Quand diffuser ? La diffusion ne sera possible « qu’après que l’affaire a été définitivement jugée ». Exception : pour le Conseil d’État et la Cour de cassation, « les audiences publiques peuvent aussi, après recueil préalable de l’avis des parties, être diffusées le jour même » (un décret viendra en préciser les conditions et modalités).
 
Temporellement, le projet prévoit qu’ « aucun élément d’identification des personnes enregistrées ne peut être diffusé plus de cinq ans à compter de la première diffusion, ni plus de dix ans à compter de l’autorisation d’enregistrement ».
 
L’objectif de ces mesures est d’améliorer la connaissance des missions et du fonctionnement de la justice.
 
 
L’enquête préliminaire limitée à deux ans
Autre volonté du ministre : « que les enquêtes préliminaires restent « préliminaires et ne soient pas éternelles » (v. Esquisse du programme d’Eric Dupond-Moretti, nouveau garde des Sceaux, Actualités du droit, 7 juill. 2020). L’article 2 du projet de loi prévoit alors l’insertion d’un nouvel article dans le Code de procédure pénale, le 75-3. Ce dernier vient limiter la durée d’une enquête préliminaire à deux ans à compter du premier acte d’enquête, avec prolongation possible d’un an sur autorisation du procureur de la République. En matière de délinquance ou criminalité organisées et en matière de terrorisme, ces délais sont portés à trois et deux ans.
 
Au terme de l’enquête préliminaire, le procureur de la République pourra mettre en mouvement l’action publique, en ouvrant une information ou en mettant en œuvre une procédure alternative aux poursuites, ou en classant sans suite la procédure.
 
Vers plus de contradictoire ? L’article 77-2 qui permet les cas d’ouverture de l’enquête au contradictoire est réécrit. Le procureur pourra décider à tout moment de mener une enquête contradictoire en communiquant une copie, ou partie, du dossier de la procédure à la personne mise en cause, à la victime ou à leurs avocats. Des observations pourront être faites notamment « sur la régularité de la procédure, sur la qualification des faits pouvant être retenue ou encore sur le caractère éventuellement insuffisant de l’enquête ».
 
L’article étend également les possibilités pour les suspects de prendre connaissance du dossier de la procédure afin de formuler des observations :
- un an après leur audition ;
- un an après une perquisition ;
- s’ils sont mis en cause par des médias.
 
Par dérogation et pendant une durée de six mois, le procureur de la République pourra refuser de faire droit à la demande par une décision motivée si l’enquête est toujours en cours et que la communication risque de porter atteinte à l’efficacité des investigations. La décision sera versée au dossier et pourra faire l’objet d’une contestation devant le procureur général.
 
À la fin du délai de deux ans à compter de l’audition ou de la perquisition, l’enquête ne pourra se poursuivre que de façon contradictoire.
 
Précision : ces dispositions ne s’appliqueront qu’aux enquêtes commencées à compter de la publication de la loi.
 

Une meilleure protection du secret professionnel
Le projet de loi veut retoucher l’article préliminaire du Code de procédure pénale en ajoutant l’alinéa suivant : « le respect du secret professionnel de la défense est garanti au cours de la procédure dans les conditions prévues par le présent Code ».
 
Le texte améliore également les garanties en matière de perquisition au cabinet ou au domicile d’un avocat prévue à l’article 56-1 :
- ces perquisitions ne seront possibles que s’il existe « des raisons plausibles de le soupçonner d’avoir commis ou tenté de commettre l’infraction qui fait l’objet de la procédure » ;
- la décision du JLD portant sur les contestations de validité des saisies pourra faire l’objet d’un « recours suspensif dans un délai de 24 heures » devant le premier président de la cour d’appel qui devra statuer dans les cinq jours ouvrables.
 
Un nouvel article 60-1-1 disposera que les réquisitions portant sur des données de connexion liées à l’utilisation d’un réseau ou d’un service de communications électroniques (données de trafic ou de localisation) émises par un avocat ne peuvent être faites « que sur ordonnance motivée du juge des libertés et de la détention, saisi à cette fin par le procureur de la République ». L’ordonnance doit faire état de raisons plausibles de soupçonner l’avocat et le bâtonnier devra en être informé.
 
S’agissant des cas d’interception de communications portant sur la ligne professionnelle ou privée d’un avocat, le JLD devra également rendre une décision motivée.
 
 
Une meilleure répression de la violation du secret de l’enquête et de l’instruction
Nicole Belloubet, ancienne garde des Sceaux, avait annoncé une réforme sur le secret de l’enquête et de l’instruction (v. Secret de l’enquête et de l’instruction : réforme en vue mais sans agenda, Actualités du droit, 24 févr. 2020) après un rapport publié sur le sujet (v. Didier Paris, député, rapporteur de la mission sur le secret de l’enquête et de l’instruction : « Toutes les informations devraient être communicables, à la réserve expresse qu’elles ne dépassent pas la ligne rouge », Actualités du droit, 17 déc. 2019).  
 
Flambeau repris par Éric Dupond-Moretti qui prévoit dans son projet que la répression de la violation du secret de l’enquête et de l’instruction sera envisagée à l’article 434-7-2 du Code pénal et sera de trois ans d’emprisonnement et 45 000 euros d’amende encourus. Aujourd’hui la violation est réprimée d’un an d’emprisonnement et 15 000 euros d’amende.
 
Si la révélation est faite à des personnes susceptibles d’être impliquées dans la commission des infractions et qu’elle est réalisée dans le dessein d’entraver le déroulement des investigations ou la manifestation de la vérité, les peines sont portées à cinq ans d’emprisonnement et 75 000 euros d’amende et sept ans et 100 000 euros d’amende si l’enquête concerne des faits de délinquance ou de criminalité organisée.
 
Enfin, l’article 11 est modifié pour permettre une communication par un officier de police judiciaire sur autorisation et sous le contrôle du procureur de la République lorsque nécessaire, sur les enquêtes en cours. Un décret doit venir préciser les conditions d’application.
 
 
Limiter le recours à la détention provisoire
Pour limiter le recours à la détention provisoire, le projet entend favoriser celui à l’assignation à résidence sous surveillance électronique et au dispositif électronique mobile anti-rapprochement : une motivation spéciale sera nécessaire pour énoncer les considérations de fait sur le caractère insuffisant de ces mesures après huit mois de détention provisoire.
 
De plus, la saisine du SPIP sur la faisabilité de l’assignation de l’article 142-6 deviendra obligatoire dans trois cas : si elle est demandée par une personne détenue ou son avocat, lorsque la personne encourt une peine d’emprisonnement de moins de cinq ans et en cas de deuxième prolongation de la détention pour les délits punis d’une peine d’emprisonnement inférieure ou égale à cinq ans.
 
 
La procédure de jugement des crimes améliorée ?
Le projet institue dans le nouvel article 276-1 une « audience préparatoire criminelle » menée par le président de cour d’assises, avec le représentant du parquet et les avocats de toutes les parties. Objectif : « rechercher un accord sur la liste des témoins et experts qui seront cités à l’audience et sur leur ordre de déposition, ainsi que sur la durée de l’audience ». En cas d’accord, des modifications restent possibles si nécessaires, à défaut, il est procédé selon les articles 277 à 287.
 
Aussi, retour de la « minorité de faveur » avec la modification de l’article 359 : un accusé ne pourra être condamné qu’à la majorité de sept voix au moins, et plus six.
 
Enfin, le projet modifie l’article 367 qui prévoit que pour l’accusé condamné qui comparaissait libre, la cour doit « par décision spéciale et motivée, décider de décerner mandat de dépôt, à effet immédiat ou différé, si les éléments de l’espèce justifient une mesure particulière de sûreté ».
 
 
La généralisation des cours criminelles
Instituées par la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice, les cours criminelles départementales doivent être généralisées à partir du 1er janvier 2022. Demandée par l’actuel garde des Sceaux, une mission flash avait rendu son bilan d’étape en décembre dernier (v. La mission « flash » sur les cours criminelles a rendu un bilan d’étape, Actualités du droit, 6 janv. 2021).
 
Le Conseil d’État regrette cependant « que l’évaluation demandée par le législateur en 2019 n’ait pas été réalisée ». Même son de cloche du côté du CNB (Pérennisation des cours criminelles : le CNB dit non, Actualités du droit, 18 mars 2021).
 
Concrètement : les personnes majeures accusées d’un crime puni de quinze ans ou de vingt ans de réclusion criminelle, lorsqu’il n’est pas commis en état de récidive légale, sont jugées en premier ressort par la cour criminelle départementale composée d’un président et de quatre assesseurs.
 
 
Expérimentation de l’avocat assesseur
Le projet de loi prévoit également, à titre expérimental et pour une durée de trois ans dans au moins deux départements, que l’un des assesseurs de la cours d’assises ou de la cour criminelle soit un avocat honoraire exerçant des fonctions juridictionnelles.
 
Le projet de loi organique précise les modalités de désignation (TA AN, 2020-2021, n° 4092). Il prévoit que seuls peuvent être nommés, après avis conforme du Conseil supérieur de la magistrature, les avocats n’ayant pas exercé la profession depuis au moins cinq ans dans le ressort de la cour d’appel à laquelle ils sont affectés. Ils devront suivre une formation préalable organisée par l’ENM et devront prêter le serment suivant « Je jure de bien et fidèlement remplir mes fonctions, de garder le secret des délibérations et de me conduire en tout comme un assesseur digne et loyal ».
 
Le projet de loi organique précise également les activités incompatibles avec l’exercice des fonctions d’avocat honoraire exerçant des fonctions juridictionnelles, les règles déontologiques auxquelles ils sont soumis, les conditions de la remise de leur déclaration d’intérêts et les conditions d’une action disciplinaire à leur égard.
 
Un décret viendra préciser les conditions de dépôt et d’instruction des dossiers de candidature, les modalités d’organisation et la durée de la formation préalable ainsi que les conditions dans lesquelles les avocats honoraires exerçant des fonctions juridictionnelles seront indemnisés.
 
 
Quelques améliorations
Le projet comporte plusieurs dispositions tirant les conséquences de décisions du Conseil constitutionnel. Les modifications portent notamment sur :
- le nouvel article 706-112-3 relatif aux perquisitions réalisées chez des majeurs protégés (v. Perquisition au domicile d’un majeur protégé : quid de l’information du tuteur ou de curateur ?) ;
- l’article 802 relatif à l’indemnisation du civilement responsable lorsqu’il est mis hors de cause dans une procédure pénale ;
- l’article 199 disposant que « Lorsque la personne mise en examen comparaît devant la chambre, elle ne peut être entendue qu’après avoir été informée de son droit de se taire » (v. Chambre de l’instruction et droit de se taire : le Conseil constitutionnel a tranché, Actualités du droit, 9 avr. 2021) ;
- l’article 396 prévoyant le droit de se taire dans le cadre d’une comparution immédiate (v. Comparution immédiate et droit de se taire : censure du Conseil constitutionnel, Actualités du droit, 5 mars 2021).
 
Il comporte également des dispositions de simplification, d’explicitation ou de mise en cohérence. Il modifie :
- l’article 41 du Code de procédure pénale en ce qu’il précise les cas dans lesquelles une enquête sociale rapide est obligatoire en cas de poursuites ;
- l’article 495-15 relatif à la CRPC pour simplifier la possibilité pour un prévenu de demander au procureur de recourir à cette procédure ;
- l’article 656‑1 pour prévoir l’anonymisation des agents étrangers affectés dans des services de police judiciaire spécialement chargés de la lutte contre le terrorisme ;
- l’article 706-74 qui permet la création de juridictions interrégionales pour renforcer l’efficacité de la répression contre les criminels en série ;
- l’article 423-11 du Code de justice pénale des mineurs pour permettre au juge des enfants de délivrer un mandat de comparution, d’amener ou d’arrêt en cas de violation des obligations du contrôle judiciaire ou de l’assignation à domicile sous résidence électronique (le Code entrera en vigueur le 30 septembre 2021, v. Code de la justice pénale des mineurs : l’ordonnance ratifiée, Actualités du droit, 1er mars 2021)
 
 
Entraide internationale
Le projet de loi autorise le Gouvernement à légiférer par ordonnance en matière d’entraide internationale pour tirer les conséquences de diverses normes de l’UE concernant :
- la reconnaissance mutuelle des décisions de gel et des décisions de confiscation ;
- l’Agence de l’Union européenne pour la coopération judiciaire en matière pénale, Eurojust ;
- le système européen d’information sur les casiers judiciaires (ECRIS).
 

Délocalisation des grands procès
Enfin, le projet modifie l’article L. 124-2 du Code de l’organisation judiciaire pour permettre qu’une audience hors norme puisse se tenir dans toute commune située dans le ressort d'une juridiction limitrophe mais également désormais dans toute commune du ressort de la cour d’appel.
 
Maintenant, place aux débats. Rendez-vous le 17 mai dans l’hémicycle de l’Assemblée nationale.
 
 
Source : Actualités du droit